Non, ce n’est pas la banlieue en tant que telle qui intéresse Patrick Fournial, c’est l’éclat de la lumière sur un paysage urbain. On peut dire « tiens cela ressemble à Ivry », commune mitoyenne de la capitale, chargée d’histoire, bordée d’un côté par la Seine, d’un autre par le périphérique, et calée entre le Kremlin-Bicêtre, Villejuif et Vitry. On peut faire l’érudit en rappelant qu’à l’époque gallo-romaine, le lieu était déjà renommé pour son vin, que la paroisse a été fondée au VIIIème siécle, et que la seigneurerie dépendait du chapitre de Notre-Dame, au IXème siècle. Longtemps bourg rural agréable, Ivry est présenté par Prudhomme dans ses treize Voyages économiques en vélocifère, au début du XIXème siècle : « la vue en est très belle, les pâturages sont abondants et d’une excellente qualité. Les médecins ordonnent le lait d’Ivri. » Quelques années plus tard, le médecin aliéniste Esquirol y installe une maison de santé, plus tard on y construit une usine chimique, puis un cimetière, des lotissements pavillonnaires et un entrepôt de chemin de fer. Après l’inondation de 1910 et le développement de la banlieue parisienne, le destin d’Ivry est intimement mêlé à celui de son encombrante voisine,Paris.
Ivry n’offre plus vraiment de clichés. C’est une ville sans image forte. Après un demi-siècle de construction de logement sociaux, dont certains figurent dans les livres d’architecture, la ville accueille des « bobos » et le promeneur constate un incroyable mélange populationnel. Pourtant les photographies de Patrick Fournial ne s’attarde guère sur des visages, ne proposent aucun portrait de groupe, ni de grappes de gens à l’arrêt d’un bus, ni de piétons pressés, seulement des images. Cet ingénieur de formation, documentariste et photographe par passion,ne recherche aucunement l’exploit technologique. Son équipement est volontairement rudimentaire. Qu’on en juge : un jojaflex, petite boîte munie d’une lentille en matière plastique, sans aucune vitesse et sans choix de focales, fabriqué en Chine populaire et acheté dans un vide grenier local. Avec ce faux 6×6, en fait un 4,5×4,5, il attrape des instants paysagers balafrés d’une déchirure colorée, provoquée par le jour qui pénètre dans l’appareil non-étanche. Il y a des embarcations qui prennent l’eau, Patrick Fournial apprécie les appareils photos qui prennent le jour ! Mais pour prendre quoi ? Ces photographies étonnantes, à la fois belles grâce au subtil cadrage et comme incomplètes, inachevées, à cause justement de ces surprises rouges, ors, jaunes, brillantes, éclairantes. Il a fait des films, il en refera, cela le tenaille trop. Et son désir de documentaire est un désir d’écriture, une écriture dédoublée avec des mots et des images. Cette série sur Ivry constitue un mini-documentaire à l’arrêt, e pourtant, à bien regarder ces images, on a l’impression que le mouvement est retenu, qu’il va à nouveau se mettre en branle. La banlieue n’est pas son sujet, son sujet est la vie qui palpite là, dans ce bout du monde, dans ce bout de ville, dans ce cadre de vie cadré par la photographie elle-même, du panorama admiré par le photographe depuis son logement à la pierre tombale finale. Entre temps ? Entre espaces ? des immeubles, des chantiers, des rues, une installation artistique, rien de plus banal, direz-vous. Mais ce banal est transcendé par l’éclair accidentel comme notre quotidien se trouve parfois bouleversé par une rencontre imprévue. Les photographies de Patrick Fournial clignent des yeux, Ivry tangue, la rêverie commence !
Thierry Paquot Urbanisme n°323 mars-avril 2002