Les Voyageurs
Ils marchent. Ils poussent un chariot, tirent une valise à roulettes ou portent un lourd sac. Ils se déplacent. Le photographe, Patrick Fournial, ne se contente pas de saisir un instantané du voyageur, c’est-à-dire de quelqu’une ou quelqu’un en transit, il confère à son cliché l’esprit même du mouvement. Ce léger flou qui l’orne est en fait l’expression de la finalité de la situation. Ces personnages sont là pour ne pas y rester. S’arrêter reviendrait à mourir. À s’exclure de la cohorte des voyageurs, reconnaissables par leur bermuda, leur sac à dos, leur appareil photographique, leur allure générale qui allie désinvolture et précipitation. Le voyageur bouge, il a la bougeotte, il ne peut demeurer assis, il se doit de circuler, d’aller ailleurs, de se rendre à un comptoir, puis à un autre, d’entrer dans une boutique, d’utiliser un trottoir roulant, un Escalator. Le bougisme s’impose à lui comme l’immobilisme au siesteur. Ils se ressemblent avec leur corps faussement décontracté, leur pas assuré, leur démarche ferme, ils savent où leurs pieds les conduisent. Le photographe cinétique attrape au vol, si j’ose dire pour des passagers d’aérogares, des mouvements isolés. Il ne vise pas à décomposer/recomposer les diverses phases d’un geste anatomico-musculaire, à donner à voir les différents moments d’un mouvement dans toute son amplitude. Non, il se contente d’esquisser, de silhouetter les attitudes d’individus – dont on n’apprendra rien de plus – en voyage. C’est le en qu’il fixe. C’est le en qui étonne, déstabilise, actionne notre regard. En observant ces images, nous nous mettons en mouvement, en marche, on devient comme ces voyageurs, en attente de la suite.
Ils marchent. Solitaire ou en groupe, le voyageur paraît isolé car le cheminement le canalise, empêche la débandade, la grappe, le couple. En file indienne. L’un après l’autre. Dans le sillage de la valise à roulettes. Dans l’onde du message téléphonique, dans la brise musicale du iPod. En un désordre ordonné, programmé, impératif. Les voyageurs ne sont guère mystérieux, leurs vêtements et leurs gestes indiquent leur activité. Ils paraissent interchangeables. Ne méritent-ils pas plus d’attention ? Qu’ils se posent et posent. Que la photographie bien cadrée nous montre le voyageur à l’arrêt, à visage découvert, prêt à nous confier ses impressions, à confesser ses doutes, à revendiquer tel ou tel changement de programme ! Il n’a pas le temps. Il voyage. Tout est compris. Il est en, comment pourrait-il être avec et parmi ? Alors qu’il reparte, qu’il entre dans cette inépuisable noria des voyageurs, qu’il adhère à ce rituel sans passage, à ce mouvement sans fin, à cette économie générale des transports. La trace de sa marche est ce halo coloré autour d’une ombre. Un ballottement ? Un ébranlement ? Une ondulation corporelle ? Le voyageur ne répond pas, il ne comprend pas la question, il n’a du reste pas le temps de vous écouter, il est fébrilement en déplacement… les photographies de Patrick Fournial expriment la vanité du voyageur, persuadé que, dès qu’il bouge, il avance !
Thierry Paquot – Urbanisme n°360 mai-juin 2008
(série réalisée en 2003)