sommaire
Narbonne, le 11 Juin
En arrivant à Narbonne, j’aperçois deux hommes qui descendent en rappel la grande surface vitrée et inclinée d’un centre de loisirs. Sur une place, aux abords de la cathédrale, épinglé sur un kiosque à journaux, « Jour de Paris » annonce la mort du Président Mitterrand. J’en ai le souffle coupé, personne ne m’en a parlé depuis ce matin. La rumeur le disait atteint d’un cancer. En Juin 90, A2 avait même remis à jour sa nécrologie. Mais tout de même, si brutalement… Je sens un grand vide, même s’il n’a pas, au cours de ses onze années de pouvoir, donné naissance à cette nouvelle société tant promise. Les inégalités se sont encore accentuées, un sous-SMIG a même été créé (TUC, SIVP, CES). En état de choc, je demande des précisions à la marchande. « C’est une connerie… N’importe quoi !… Vous n’êtes pas le premier à me poser la question. D’accord c’est un journal satyrique, mais ce n’est vraiment pas intelligent !… ».
Je retourne à l’entrée de Narbonne pour retrouver les deux acrobates industriels, accrochés à leur corde, balai-brosse à la main. Ils arrivent en bas de la pente vitrée. Un homme en complet, élégant, cheveux et moustache grisonnants, les regardent travailler. Sa cravate vole au vent. Je fais quelques photos de ce spectacle insolite… mais impossible de trouver un cadrage intéressant. L’homme se retourne et me surprend… Il m’aborde. Plutôt sur mes gardes, comme pris en flagrant délit, je m’explique. Il se présente comme le directeur du Centre, et m’invite sans préambule à boire l’apéritif à l’intérieur de « l’Espace de Liberté. »
Labastide Esparbairenque, le 12 Juin
Denis est déjà devant son ordinateur. Il aime les heures extrêmes de la journée pour travailler. Dans le jardin, je photographie la charmante sculpture début du siècle d’une femme en maillot de bain. Corps penché, petits seins, ventre rentré, tête entre les bras, elle s’apprête à plonger. J’aimerais collectionner semblables beautés, avec autant de fétichisme que Michael Lonsdale ses angelots, dans « Les Jeux de la comtesse Dolingen de Gratz ».
Route de Mazamet à travers bois. A l’entrée de la ville, les industries de délainage empuantissent l’air. Mazamet est bien différente des villes du sud que je traverse depuis bientôt trois semaines. Comme Corte, elle a un côté montagnard, froid, sous la chape nuageuse grise qui la recouvre aujourd’hui.
Toulouse, le 13 Juin
Je longe la Garonne jusqu’à la galerie du Château d’Eau. Elle vient de fermer, il est midi. Sur l’autre berge, au pied des quais de la Dorade, une fête de quartier commence à s’animer. Au bord du fleuve, indifférent aux festivités, un homme scie les branches d’un arbre mort charrié par la crue. Je rejoins la place du Capitole et m’achemine vers le marché aux puces de Saint-Sernin. Trop tard encore, les brocanteurs ramassent déjà leurs trésors.
Au 15 de la rue des Lois, découverte d’un lieu où exposent six jeunes photographes toulousains : six regards, six styles et sensibilités très différents.
Quercy, le 14 Juin
Une petite tâche rouge me réveille aux premières lueurs du jour : l’espoir d’une grasse matinée s’évanouit sous les câlins de Larissa.
Huit heures, nous partons visiter la petite cité de Bruniquel qui domine la vallée, à la sortie des gorges de l’Aveyron… Les bouquinistes se sont emparés de la place ensoleillée de l’église.
A midi, pique-nique dans une carrière isolée de la route par un sous bois. Les enfants, excités par leurs découvertes, rapportent géodes et fossiles de toutes sortes.
Engagé de force dans une partie de balle au chasseur, je rêve de m’étendre dans un coin à l’ombre et de laisser s’écouler les heures d’une douce sieste. Les enfants en ont décidé autrement. Le jeu terminé, il faut partir en balade sous un soleil de plomb, descendre au petit étang où se tenait ce matin un concours de pêche. Quelques téméraires cuisent encore au soleil. Un bienheureux, chapeau sur la tête, ventre relâché, s’est endormi sur l’herbe grasse. Sur la centaine de truites d’élevage, jetées dans l’eau trouble et boueuse de l’étang, cinq seulement ont été pêchées durant la matinée.
Lourdes, le 15 Juin
La pluie s’est mise à tomber. Rues de parapluies. De nombreux pèlerins italiens, quelques Irlandais et de rares Français. Cité des marchands, commerces religieux florissants, spectacle surréaliste d’une vierge accommodée « à toute les sauces ».
Je trouve une chambre dans un modeste hôtel au nom religieux évocateur dont je suis l’unique client : matelas fatigué, moquette, couverture et dessus de lit douteux.
Dans la grotte, des pèlerins superstitieux défilent, mains collées aux parois. Les haut‑parleurs mettent en garde contre les pickpockets, et annoncent, en plusieurs langues, qu’il est interdit de donner aux mendiants, des services sociaux ont été créés pour eux.
Bizanos, le 16 juin
Assis à une table avec trois comparses, un homme joue aux cartes tout en épiant l’extérieur ; à chaque jolie touriste qui passe, il s’écrie machinalement : « Aux pieds ! », avant de reprendre la partie.
Après quelques heures de pages d’écriture, je m’invite chez une cousine à Bizanos. Joli trajet en bus, longues rues bordées d’arbres longeant le Gave sur les hauteurs. Un vent d’ouest ramène sur la ville les odeurs sulfureuses de l’usine de Lacq.
L’orage gagne. Bientôt, une pluie battante et tropicale, accompagnée d’éclairs, s’abat sur Pau.
Saint-Jean-Pied-de-Port, le 17 juin
D’imposantes maisons de grès rose, recouvertes de tuiles romaines. Au fond de l’église, des jeunes, allongés dans leur sac de couchage, font une grève de la faim pour soutenir trois insoumis détenus depuis un mois. Des tracts, rédigés en Français et en Basque, expliquent les raisons de cette grève, leur refus du service militaire : « Service d’inutilité sociale où l’on apprend la soumission, la haine, le racisme, et la loi du plus fort », alors que « les condamnés, par leurs divers engagements, étaient tous les jours au service de la société ». Ils appellent à une manifestation le samedi 27 juin.
Soirée au bar américain. Le patron exhibe trois petits kilos de ceps à des clients, fruits de sa première cueillette. Derrière le comptoir, une photo prise le 18 juillet de l’an passé : le patron et quelques amis derrière les cinquante-cinq kilos d’une cueillette miraculeuse. Ils parlent du parfum qu’ont les ceps en septembre. J’en ai l’eau à la bouche.
Dans le bar d’en face, une télévision diffuse la fin du match de football France‑Danemark. La France perd deux à un. Platini, le visage tendu, voit arriver la fin de l’aventure des Bleus en Coupe d’Europe… Un spectacle qui me laisse plutôt indifférent.
Bayonne, le 18 juin
Au fond du terrain, derrière un muret, les habitués, et un vieux journaliste du « Sud-Ouest » affairé sur son carnet de notes. Enfin, à l’étage, la foule bruyante des parieurs. Si la partie de cet après-midi n’a pas les qualités de celle de jeudi dernier, me dit-on, elle reste très belle, pleine de rebondissements, avec des hauts et des bas pour chacune des équipes. Elle se termine sous les applaudissements, cinquante points à quarante-huit.
Dans la petite cour du trinquet, les coupures de deux cents et cinq cents francs passent de main en main. Les jeux continueront après l’apéritif, autour d’une table, avec les cartes espagnoles du Mus. L’intérêt de ce jeu réside dans les imperceptibles mimiques qui accompagnent l’annonce. Mais on ne joue pas devant des spectateurs… Inutile d’attendre pour assister à une partie.
Saint-Jean-de-Luz, le 19 juin
J’ai décidé de gagner la frontière espagnole dans la journée. Route de Saint-Jean-de-Luz avec un expert comptable. Nous traversons Biarritz et poursuivons notre route vers le sud. Au loin, la côte espagnole et les montagnes qui plongent dans l’Atlantique. Il y a quelques années, une tempête d’apocalypse avait failli l’emporter, une tempête qui avait fait plusieurs morts en quelques minutes. Aujourd’hui encore, son écho vient hanter ses nuits.
Dans les rues piétonnes de Saint-Jean, sur les étalages des commerçants, les premières soldes d’été. Des touristes se dirigent en groupe vers la grande église aux balcons sculptés de bois sombre. Sur la plage, des employés municipaux installent des cabines de plage en tissus.
Mont-de-Marsan, le 20 juin
Dix‑huit heures. J’ai quitté la ville avec un jeune restaurateur qui m’a déposé sur la rocade. Les voitures roulent à vive allure. D’un moment à l’autre, l’orage peut éclater de nouveau.
Une demi-heure s’écoule avant qu’un véhicule ne s’arrête enfin. C’est la femme de ce début d’après-midi. Son rendez-vous avec le promoteur s’est éternisé. Nous reprenons notre conversation. Elle me parle maintenant de sa bastide située au coeur d’une forêt, de la buse qui vient lui rendre visite chaque matin, et de sa pie câline et chipie qui grimpe sur son épaule pour frotter sa tête contre son oreille.
Marmande, le 21 juin
Cet après-midi, le loto est organisé au profit de l’association des donneurs de sang. Quelques vieux sont accompagnés de leurs enfants et petits enfants. Parmi les lots alignés sur l’estrade, de nombreuses bouteilles de vin et de mousseux. Un couple m’explique avec solennité que, « Dès le début du jeu, il n’est plus question de dire un mot. », concentration… Quelques images de « Route One » m’étaient revenues en pénétrant dans ce lieu, celles de l’entrée de Doc dans une salle semblable au nord des USA. Je retrouve la même tristesse, ambiance de non vie, des gens réagissant comme des automates dans le silence le plus total au chiffre annoncé. Un petit bout de femme vient me chercher pour que je la photographie avec une amie, pour le souvenir.
Neuillac, le 22 juin
Dans le petit triangle de terre Neulles‑Réaux‑Jonzac, le logis de Romas, la maison familiale de mes grands parents paternels. […] Le logis se rapproche. J’arrive au petit pont sur le Trèfle, le coeur serré. Par une série de photos, j’immortalise cette rivière qui avait failli m’emporter le matin de mes cinq ans. Au pied du moulin, avec des cousins, nous avions construit un barrage où voguaient nos bateaux. Le mien força la digue. Je me lançai à sa poursuite, trébuchai, et me retrouvai emporté, à mon tour, par le courant. L’image des peupliers apparaissait, disparaissait… Je perdis connaissance. Lorsque je me réveillai plus tard, ma pâleur se lisait dans le regard des adultes rassemblés autour du lit.
Bourcefranc, le 23 juin
Sur la jetée qui mène à la Cayenne à travers les marais, je tente en vain de faire du stop. La méfiance semble être de mise ici. De l’autre côté du canal envasé, des hommes décapent leur barque au chalumeau. […] J’arrive au port de Bourcefranc où mon chauffeur a amarré son petit chalutier. Plutôt que de suivre son père dans l’ostréiculture, il a choisi d’être pêcheur. Avec son bateau, il part en mer, derrière l’île d’Oléron pêcher la sole et le merlu.
Les femmes d’ostréiculteurs aident leurs maris au chargement et déchargement des huîtres. Sur la descente du port, un homme nettoie à la brosse sa plate en alu. Derrière lui, au large de la pointe du Chapus, le fort baigne dans la brume. En mer, c’est l’incessant ballet des bateaux en partance pour les parcs à huîtres.
la Rochelle, le 24 juin
Onze heures. Devant le lycée Jean Dauvet, un élève révise « Candide » pour l’oral de son bac de français. A l’intérieur, dans les salles de cours, les terminales B planchent depuis ce matin sur des sujets d’histoire et de géographie. […]
Aux portes de la ville, assis dans la cabine d’un gros camion qui s’apprête à redémarrer, le chauffeur se cale sur son siège. Soudain apparaissent trois femmes poussant chacune une poussette. Elles se découpent à merveille sur la chaussée. Je me colle en vitesse au fond de la cabine et effectue une série de photos sous le regard étonné du chauffeur qui les klaxonne, m’adressant un sourire complice.
Pouzauges, le 25 juin
Cheffois. Dans un jardinet, au dessus de la route, une imposante statue religieuse et cette inscription, « Coeur sacré de Jésus, ayez pitié de nous ». Une voiture s’arrête. Son conducteur, un agriculteur à quelques années de la retraite, me tend la main : « Allez, assieds toi. » Il se rend chez le vétérinaire de Pouzauges.
Bâtie sur une colline, Pouzauges domine le bocage vendéen qui disparaît au loin dans la brume. C’est jour de marché. Midi : la sirène retentit, comme chaque jeudi. Des élèves du collège sillonnent les rues de la petite ville, questionnaire en main. Un transporteur local a commandé une enquête sur les désirs de voyages organisés de la population.
Déjeuner au « Bois de la folie », une petite clairière au milieu d’une châtaigneraie. Des corneilles tournoient au dessus des arbres.
Les Herbiers. Assommé par la chaleur. Une collation avant de reprendre la route. Nouvelle voiture. Un fils à papa, enfant de diplomate qui vient d’échouer à ses examens. Il ne me cache pas avoir eu des « tendance très extrême droite », il y a quelques années. Il épingle Céline « au style argotique déplaisant », encense Morand et Nimier, et s’étonne que je ne connaisse pas Jacques Benoist-Méchin, historien spécialiste de l’Allemagne, collaborateur, éminence grise des gouvernements des trente glorieuses…
J’atterris épuisé à Montaigu, dans un village de vacances où l’on m’octroie une petite maison tout confort. Au dessus, à l’orée d’un bois, dans un enclos grillagé, trois grosses corneilles craillent. A terre, des carcasses d’oiseaux en décomposition. Odeur putride. Lugubre spectacle.
Montaigu, le 26 juin
Désir d’océan. Premier hameau. Une vieille femme arrose de monstrueux géraniums, devant sa ferme. Intrigué par la mystérieuse découverte de la volière aux corneilles, je l’interroge. « C’est un piège », les chasseurs retiennent ces oiseaux dans des cages pour éviter qu’ils n’abîment leur gibier. Son fils accourt, criant à l’aide ; un de ses taurillons vient de s’échapper. Je poursuis avec eux l’animal qui rentre bientôt au bercail. L’homme me propose de l’accompagner jusqu’au Poiré sur Vie. Il a une réunion à la maison des jeunes agriculteurs avec les responsables des centres de gestion du bocage. Il a repris, il y a quelques années, l’exploitation paternelle et s’inquiète du désintérêt des Vendéens, plus préoccupés par l’élection d’un des leurs à la tête de la FNSEA, que par la PAC.
Saint-Brevin-les-Pins, le 27 Juin
Promenade matinale avec mon compagnon de dortoir, un cerveau en constante ébullition, préoccupé de tout. Sa vie avait basculé un jour de 1976 ; un collègue marié lui avait demandé s’il pouvait le remplacer exceptionnellement à son poste de nuit… La demande se renouvela plusieurs fois… Et puis ce fut une chose acquise. D’autres personnes firent de même. Lui, il n’était pas marié, alors… Il travailla jusqu’à trois semaines d’affilé de nuit pour une semaine de jour. De nature chétive, les nerfs usés, il quitta l’usine en 1982. Depuis il vivote. Hier au soir, lorsque nous discutions dans la pénombre de la chambre, j’avais cru voir la folie se dessiner dans son regard.
La mer est basse. De l’autre côté de l’estuaire de la Loire, Saint-Nazaire plongée dans la brume. Attirés par les silhouettes photogéniques de cabanons aux grands carrelets, juchés sur pilotis, nous avançons vers l’eau. La forte odeur de la veille persiste. Le sable a été retourné tout au long de la plage. Je découvre une méduse, puis deux, puis dix, puis cent… des milliers de méduses rejetées par la marée, échouées sur la plage où elles se décomposent. Immondes gélatines blanches et opaques comme des galettes de riz. Le sable a été retourné pour les y enfouir. L’odeur putride nous prend à la gorge. […] Sur la plage maintenant, deux hommes armés de fourches jettent des monceaux de méduses dans la pelle de l’engin de voirie qui roule derrière eux.
le Croisic, le 28 Juin
Nuit au sommeil agité. Je profite de la lumière du petit matin filtrée par les volets pour admirer Maïla dans son sommeil. Dans ces instants de grâce, j’aimerais être peintre ou sculpteur. Je me rendors.
Promenade et plage. Je suis heureux de voir Maïla détendue. J’oublie mon voyage et ne veux me consacrer qu’à elle. Spectacle surréaliste sur la côte sauvage : des alpinistes encordés s’exercent sur de petits pitons rocheux. Tant de sérieux et de professionnalisme pour une ascension de quelques mètres.
Midi. Étendus sur une petite plage abritée au sable brûlant. La mer est haute. Nouvelle baignade.
Guérande, le 29 Juin
Plus loin sur la route, je rencontre un autre paludier, lui aussi pressé de finir avant la pluie. Le soleil se voile par instant, mais je ne vois pourtant pas l’orage s’approcher. Il me montre son champ d’exploitation avec sa douzaine d’oeillets. L’eau en provenance de l’étang de décantation passe dans de nombreux fards et bains de réchauffement, avant d’être dirigée, à travers des canaux d’irrigation, vers les différents oeillets. Là, elle s’évapore, produisant cinq cents kilos à une tonne de fleurs de sel par saison. Les années précédentes, particulièrement ensoleillées, il avait réussi à sortir plus de trois tonnes de sel de certains oeillets. Dans le métier depuis trois ans seulement, il exploite déjà une cinquantaine d’oeillets. « Un expert peut arriver jusqu’à 70 ». Le geste précis, je le vois remonter délicatement la fleur de sel sur une plate‑forme circulaire à l’aide d’un long râteau à manche souple.
la Grande Brière, le 30 Juin
A l’abri, dans le silence feutré de la chaumière. La pluie tombe. Le cycliste est sorti en oubliant de fermer la porte derrière lui. Une, puis deux, puis trois poules, toutes aussi curieuses et sans gêne, pénètrent bientôt dans le dortoir. Je me lève. Les volatiles déguerpissent aussitôt. Je les poursuis avec mon appareil photo sous la pluie. Jeu sans fin du chat et de la souris avec l’objectif, où je suis le seul à m’épuiser.
La pluie a cessé. Une heure de marche sur un chemin calme. Des maçons réparent le conduit de cheminée d’une chaumière rachetée par des Anglais, déjà nombreux dans la région.
île de Saint-Cado, le 1er juillet
Au bord de la route, deux ostréicultrices, véritables jumelles, nettoient et trient leurs huîtres. A quelques mètres de là, le mari d’une des deux soeurs, chaussé de cuissardes, travaille en solitaire. Il dispose des caisses remplies d’huîtres au fond d’une piscine… « Je n’suis pas né avec ça dans le sang comme ma femme… Moi je suis un ancien de la marine… ». Il attend avec impatience que son fils, actuellement pêcheur à Lorient, reprenne l’exploitation. […]
Au milieu de la rivière d’Etel, l’incessant balai de petites embarcations qui remontent le courant, disparaissent derrière une pointe et reviennent quelques minutes plus tard, portées par les eaux de la marée montante, avant de se relancer à nouveau vers la mer. Une jeune ostréicultrice m’explique que ces hommes pêchent le bar.
Lorient, le 2 Juillet
Neuf heures. Sur le port de commerce, les ouvriers d’une entreprise du Havre montent une immense grue qu’ils installeront sur le quai de déchargement à la mi-septembre. […]
A l’extrémité d’un des quais, un gros navire russe. A l’arrière, un homme surveille ses lignes. Une heure de pêche, et déjà deux belles anguilles grandies dans les eaux du port. Sur le pont du bateau chargé de tourteau de coton, plusieurs véhicules japonais achetés en route : un commerce toléré et lucratif pour l’équipage. Sur le quai, des dockers déchargent de la farine de poisson en provenance du Chili. L’équipage est composé de Philippins, de Ghanéens et de Turcs, payés, pour la plupart, moins de trois mille francs par mois. Sur les quais, dans un nuage de poussière, c’est l’incessant ballet des camions et des tracteurs.