« La Défense n’est une ville, c’est une île. Une île de béton, en forme de poire, ceinturée par un fleuve automobile. Comme tous les insulaires, les habitants du quartier prennent rapidement des habitudes en léger décalage avec celles des habitants du quartier voisin. Il faut dire que la géographie, l’histoire, voire les conditions météorologiques propres au quartier viennent les conforter dans l’idée qu’ «ici tout se passe différemment » ». Marc Lemonier
Ici tout se passe en effet différemment ; les échelles métriques et humaines subissent une distorsion spécifique au lieu. J’ai voulu réfléchir à cette solitude certaine qui nous envahit au milieu de ces tours, nous si petits au fond de ce paysage minéral. Je désirais confronter le réel du reportage, à l’effet « maquette » mis au point avec mon appareil.
À midi, à l’heure où l’ensemble des tours déverse sur l’esplanade son flot d’employés, de cadres, je me postais sur les lieux de passage de la foule aux tenues et aux mines attendues. J’observais leurs parcours le long de lignes invisibles. Je plongeais dans leur silence préoccupé et les figeais dans un décor à la fois connu, cent fois photographié et totalement nouveau. Je re-créais un univers, de nouvelles échelles de valeur plus proches de la maquette que de la réplique d’une réalité banale. Je plongeais personnages et décors dans le même bain. Et, comme pour sceller cette union, couleurs saturées et langues de feu tombées du ciel s’invitaient à la fête.
Si cette unité de lieu a été choisie, ce n’est pourtant pas en vue d’effectuer une simple visite de la Défense, mais bien pour proposer un voyage dans le silence ensoleillé de l’être préoccupé, et tenter de rendre une âme à ce lieu si souvent ressenti comme déshumanisé. (année 2002)